Par Joseph Hermet pour ConseilenStrat.fr

Alors que les sécheresses s’enchaînent et que les records de chaleurs sont systématiquement battus, le petit monde de l’entreprise se réveille pour comprendre ce qu’il se passe. Un peu tard, les générations de managers bien implantées dans leur hiérarchie et qui voyaient la transition climatique et le développement durable comme un “joli machin marketing” au mieux, ou au pire comme un frein nuisible à leur business, commencent à comprendre que la transition écologique et énergétique est un enjeu majeur pour l’avenir de nos sociétés. Sans planète plus de business pourrait on dire. Les fresques du climat et autres formations RSE explosent dans tous les comex, les entreprises savent qu’elles ont un rôle clé à jouer dans cette transition. Elles sont en effet responsables d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre. Face au retard pris et au manque de compétences internes pour répondre à cet enjeu, de plus en plus d’entreprises font appel à des consultants spécialisés en décarbonation pour les aider à réduire leur empreinte carbone. A l’instar de la transition digitale ces 20 dernières années, véritable virage stratégique emprunté par le monde corporate et le consulting, c’est bien la décarbonation et l’enjeu de l’accès aux ressources qui s’annonce tortueux pour les firmes du monde entier.

La décarbonation et la durabilité, à l’instar du digital, touchent en effet tous les secteurs et toutes les tailles d’entreprises. Elles ne peuvent être outsourcées à 100%, elles doivent être in fine reprises par les organisations afin d’impacter l’ensemble de leurs activités. Les sociétés de conseil opèreront en mission d’audit et de cadrage, puis éventuellement sur un mode de travail en régie pour accompagner les entreprises dans leur transition écologique avec les compétences nécessaires. La question des compétences sur ces sujets est donc un réel défi : il y a actuellement encore peu d’expertises disponibles sur le marché et donc un besoin de formation.

Des émissions à tous les étages : les émissions directes provoquées par les activités au sein même de l’entreprise, ainsi que celles causées en amont et aval de sa chaîne de valeur.

Le protocole de comptabilité et de reporting des émissions de gaz à effet de serre (GES) du GHG Protocol divise les émissions de GES d’une entreprise en trois catégories ou “scopes”.

On trouve tout d’abord les émissions dites de Scope 1. Ce sont les émissions directes de GES provenant des sources de combustion et de procédés à l’intérieur des limites de l’entreprise, notamment les émissions de CO2 provenant de la combustion de combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) dans les installations de l’entreprise, y compris les centrales thermiques, les chaudières et les générateurs de secours. Il faut également compter les émissions de gaz fluorés (HFC, PFC, SF6) provenant des équipements de réfrigération et de climatisation de l’entreprise.

Viennent ensuite celles du Scope 2 : il s’agit là des émissions indirectes de GES provenant de la production d’électricité, de vapeur, de chaleur ou de froid achetée par l’entreprise, qui sont utilisées à l’intérieur des limites de l’entreprise, comme les émissions de CO2 provenant de la production d’électricité achetée par l’entreprise auprès des compagnies d’électricité, y compris les centrales thermiques à combustibles fossiles, les centrales hydroélectriques et les parcs éoliens. C’est pour cette raison qu’on compte de nombreuses annonces de “deals” énergétiques entre fournisseurs d’énergie renouvelable et grands groupes, à l’instar de Stellantis ou LVMH par exemple. Dans les émissions du scope 2, on comptera aussi les émissions de CO2 provenant de la production de chaleur ou de froid achetée par l’entreprise auprès de fournisseurs de réseaux de chauffage urbain.

Enfin, on comptera le Scope 3 souvent le plus contesté lorsqu’il s’agit du bilan carbone. Ce sont les émissions indirectes de GES provenant des activités en amont par les fournisseurs et en aval par les clients de l’entreprise, comme les émissions de CO2 provenant de la production de matières premières telles que le pétrole, le gaz naturel et les métaux, qui sont utilisées par l’entreprise pour fabriquer ses produits ou les utiliser.

Quelques axes d’amélioration accessibles aux entreprises pour réduire leur empreinte : réduction, évitement et compensation des émissions carbone.

Le pilier prioritaire d’une stratégie de décarbonation repose avant tout sur la réduction des émissions. Afin d’y parvenir, les entreprises pourront construire leur feuille de route en quantifiant leurs émissions et en alignant ces objectifs avec les standards internationaux de trajectoires de réduction des émissions de GES, comme le SBTi Americain (Science Based Target initiative) , ou bien la Stratégie Nationale Bas Carbone en France (SNBC).

Le chantier est titanesque pour maintenir les émissions dans ces scénarios menant à 1,5 à 2 degrés de réchauffement. Chaque année, au niveau mondial, il sera nécessaire de faire chuter les émissions autant que lors de l’arrêt de l’économie mondiale lors des périodes de confinement de l’année 2020. Les entreprises ont donc fort à faire. Pour améliorer le scope 1 et 2, il sera possible pour elles d’opérer un changement de mix énergétique, de revoir leur process pour consommer moins d’énergie primaire, d’imposer des contraintes aux fournisseurs.

En revanche un autre levier existe, celui de l’évitement d’émissions, les ingénieurs ne pouvant pas dépasser les limites de rendement et d’amélioration imposées par la physique, les entreprises doivent également repenser leurs business models, réaliser une analyse de cycle de vie complète sur leurs gammes, et inclure de l’éco conception afin d’impacter leur scope 3 d’émissions. Ces changements nécessitent souvent une vision long terme entre 5 et 10 ans, et nécessitent d’engager de profondes transformations dans l’entreprise puisqu’elles touchent au cœur de métier, aux produits et au modèle d’affaires. On trouve des exemples d’entreprises de toutes tailles ayant débuté ce chemin. c’est le cas notamment de petites PME comme Love and Green ou Avril Cosmétiques qui ont débuté des démarches d’éco conception, ou également de grandes entreprises comme Leroy Merlin ou Decathlon qui initient des projets de location longue durée ou à l’usage de matériel sportif ou de bricolage.

Enfin, la compensation financière des émissions carbone par un rachat de crédits carbone auprès de tiers développant des projets de réduction ou d’évitement est possible. Néanmoins, cela nécessite de contrôler et auditer la bonne implémentation de ces actions. Des standards sont mis en place pour introduire des méthodologies à ce sujet comme Verra ou Gold Standard.

L’intervention des consultants, pourquoi l’aide externe est-elle nécessaire ?

Les cabinets de conseil peuvent aider les entreprises à décarboner leurs activités en apportant des compétences spécialisées dans ce domaine, d’abord sur un format d’audit et d’établissement de la “photo carbone”, puis, sur un format de mission en régie pour fournir le cadre de mise en place des actions à mener. Elles peuvent ainsi aider les entreprises à identifier les principales poches de carbone émises, souvent à l’aval de la production, puis, à déterminer les actions à entreprendre pour les réduire et à mettre en place des processus pour suivre les progrès réalisés.

L’entreprise danoise Novo Nordisk, spécialisée dans les produits pharmaceutiques, s’est par exemple faite accompagner par un cabinet. En 2015, Novo Nordisk a engagé une société de conseil en développement durable pour aider à évaluer son empreinte carbone et élaborer un plan pour la réduire. Les consultants ont travaillé avec Novo Nordisk pour identifier les sources d’émissions les plus importantes et les actions les plus efficaces pour les réduire. Suite à cette mission, Novo Nordisk a réussi à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 35 % en seulement deux ans.

Un autre exemple est celui de PepsiCo qui a fixé des objectifs chiffrés ambitieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de son activité directe (scope 1) et de son approvisionnement en énergie (scope 2). L’entreprise s’est engagée à réduire de 40% ses émissions de CO2 d’ici 2030 par rapport à son niveau de 2015 pour le scope 1. Pour le scope 2, PepsiCo s’est fixé un objectif de 100% d’électricité renouvelable d’ici 2025 pour l’ensemble de ses sites de production. L’entreprise a également annoncé qu’elle allait encourager ses fournisseurs à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre en fixant des objectifs de réduction pour 75% de ses émissions de scope 3 d’ici 2025. Avec l’aide de CDP, PepsiCo a déjà réduit de 25 % ses émissions en 2021 par rapport à celles de 2015 sur le scope 1 et scope 2.

Coupler connaissances en décarbonation, avec des savoir faire en traitement de données : le rôle du conseil en data pour traiter les quantités de données carbone collectées :

L’analyse de données et l’emploi de data analysts dans les équipes de conseil peuvent jouer un rôle clé dans la réalisation des objectifs de décarbonation des entreprises. En effet, la collecte, l’analyse et l’interprétation de données peuvent aider les entreprises à comprendre leur empreinte carbone, à identifier les domaines clés où des améliorations sont nécessaires et à suivre les progrès réalisés dans le temps. Les data analysts peuvent aider à collecter et à traiter les données de manière plus efficace et précise, ce qui permet de déterminer les tendances et les corrélations entre les différentes variables, et de fournir des informations exploitables pour des décisions éclairées.

De nombreuses solutions logicielles font également compétition féroce entre elles pour être utilisées comme plateforme de référence pour compter, suivre et récompenser les collaborateurs pour le suivi des objectifs carbone de l’entreprise. On pourra citer par exemple Carbometrix, Greenly, Ecovadis, Carbo, etc. Elles permettent également de démontrer aux collaborateurs que l’entreprise s’empare du sujet “décarbonation”.

Les analyses de données réalisées par les sociétés de conseil aident les entreprises à élaborer des stratégies de décarbonation plus solides et à identifier les initiatives les plus efficaces pour atteindre leurs objectifs neutralité carbone, qui rappelons-le n’a de sens qu’au niveau global. Les données peuvent être utilisées pour simuler les impacts de différentes actions de décarbonation, afin de sélectionner les options les plus efficaces et de définir des cibles réalistes. Les data analysts peuvent également aider les entreprises à surveiller et à évaluer leurs progrès dans la réalisation de leurs objectifs de décarbonation.

La réglementation s’enrichit également, à l’instar de celles sur l’immobilier, l’automobile, la production d’électricité décarbonée, le reporting extra financier, les critères de taxonomie européenne etc. Les consultants sont donc très bienvenus pour guider les entreprises à naviguer dans ces nouvelles réglementations environnementales complexes et en constante évolution. Les gouvernements du monde entier et notamment les pays Européens mettent en place des réglementations de plus en plus strictes pour réduire les émissions de carbone, et les entreprises ont besoin de comprendre ces réglementations pour se conformer à la loi et éviter les amendes et autres sanctions. On le constate avec l’adoption nouvelle de barrières douanières à l’entrée de l’union européenne sur les matières premières extraites et produites de façon non durable.

Les cabinets de conseil entretiennent des relations avec les nouvelles écoles de commerce dédiées à la décarbonation. Ces nouvelles compétences offrent en effet des accélérations de carrières pour les consultants.

Le CEO de BCG déclare au Financial Times “vouloir recruter des climate activists”, mais il n’est pas le seul, et la bataille pour les compétences à déjà commencé. Faute de candidats formés, les cabinets de conseil sont limités dans leur croissance et sont contraints de recruter des candidats formés sur le tas ou à la fin de leurs études, de façon incomplète et non systémique. De nouvelles écoles émergent néanmoins, à l’instar de KLIMA School, et qui prennent en compte les enjeux de la transition climatique au cœur des cursus, sur toute leur durée.

Cette école de commerce d’un nouveau genre est en effet la première business school dédiée à la décarbonation des entreprises. Son objectif est de former les futurs professionnels aux enjeux de la décarbonation et des limites physiques en ressources, avec pour objectif d’obtenir des résultats concrets sur les émissions. Basée sur des études de cas menées par des professeurs et intervenants expérimentés, KLIMA School propose des programmes de formation pour les cadres supérieurs en reconversion, les entrepreneurs et les étudiants, qui sont conçus pour aider les entreprises à réduire de manière pérenne leur empreinte carbone.

Devenir consultant spécialisé dans les enjeux de décarbonation et transition énergétique, nécessite une formation solide dans ce domaine, mais cela s’avère souvent payant. Les carrières sont de plus en plus attractives et les opportunités de développement rapide, plus nombreuses que dans le conseil en stratégie classique. Le consultant en décarbonation, en énergie et en développement durable présente en effet un profil atypique : compétences spécialisées en matière de gestion de projet, trajectoire et stratégie carbone, planification, d’analyse des coûts, d’achats responsables et éco-conception, et repositionnement stratégique. Cela fait de lui le mouton à 5 pattes qui ne sort pas des écoles dites classiques. Il est souvent capable de comprendre les complexités de la réglementation environnementale, les exigences de reporting et les dernières technologies et tendances en matière de durabilité.

Pour acquérir des équipes de consultants formés, si les partenariats écoles sont une voie, celle du M&A semble également privilégiée ces dernières années.

Au cours des dernières années, de nombreux cabinets de conseil ont cherché à renforcer leurs capacités en matière de développement durable au point d’en faire un axe stratégique de développement. En effet, leurs clients, poussés par les enjeux réglementaires et les pressions de la société civiles accroissent leur demande. Mais faute d’équipe interne pour traiter cette demande nouvelle, les acteurs du conseil s’activent en acquérant des cabinets de conseil spécialisés en décarbonation, RSE et autres achats responsables. Le marché est en ébullition et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Dans cette course, citons quelques exemples pour mettre en évidence ce stratégie de build-up et de FOMO (fear of missing out) des différents majors du conseil en stratégie :

En 2016, Accenture a acquis la société de conseil en développement durable SustainAbility, basée à Londres. Cette acquisition a renforcé les capacités de durabilité d’Accenture, en lui permettant de proposer des services de conseil sur des questions environnementales. En 2018, le cabinet de conseil en stratégie Boston Consulting Group a acquis la société de conseil en développement durable Sustainalytics, qui fournit des analyses de durabilité pour aider les investisseurs à évaluer les risques ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) de leurs investissements. En 2019, le cabinet de conseil en stratégie McKinsey & Company a acquis la société de conseil en énergie et en durabilité E3, basée à Berlin. En 2020, le cabinet de conseil en développement durable Anthesis a acquis le cabinet de conseil en gestion des émissions de gaz à effet de serre (GES) TNEI, basé au Royaume-Uni. Enfin, en avril 2021, le cabinet de conseil en stratégie Boston Consulting Group (BCG) a encore annoncé une acquisition. Celle de Quantis,  cabinet de conseil en durabilité basé en Suisse.

La vague d’acquisitions de cabinets de conseil spécialisés en sustainability peut s’expliquer par l’urgence croissante de la crise climatique. Les entreprises et les gouvernements cherchent des solutions pour réduire leur impact sur l’environnement et atteindre des objectifs de décarbonation pour lutter contre le changement climatique. Les cabinets de conseil sont donc confrontés à une demande croissante de la part de leurs clients pour des conseils en matière de durabilité et de réduction des émissions de carbone.

Les cabinets dits haut de gamme conservent leur contact de haut niveau dans les organisations clientes, qui émettent leur besoin à leur interlocuteur unique. Le cabinet doit donc répondre de manière globale à tous les besoins, d’où la recherche de compétences. L’ajout de capacités en durabilité permet aux grands cabinets de conseil de répondre à cette demande et de rester compétitifs en proposant des solutions innovantes pour aider leurs clients à atteindre leurs objectifs de réduction des émissions de carbone. En somme, la vague d’acquisitions de cabinets de conseil spécialisés en sustainability est un signe de l’importance croissante de la lutte contre le changement climatique pour les entreprises et les gouvernements.

Face à cette explosion de la demande, le conseil en sustainability est aussi un moyen de prise d’indépendance et de création entrepreneuriale. Nombre de jeunes actifs, après quelques années d’expérience, peuvent ainsi espérer se lancer en Freelance pour dispenser leurs précieux conseils. C’est une tendance de fonds que l’on constate partout sur le marché, à l’instar de la croissance du nombre de profils inscrits sur des plateformes d’intermédiation.

En conclusion, les enjeux de la décarbonation sont de plus en plus importants pour les entreprises, et la stratégie climat et la durabilité sont des sujets qui touchent tous les secteurs et toutes les tailles d’entreprises. Les sociétés de conseil ont un rôle crucial à jouer dans l’aide aux entreprises pour réduire leur empreinte carbone et s’aligner avec des trajectoires de réchauffement climatique prévues par les accords de Paris. Pour y parvenir, les consultants doivent consolider des compétences spécialisées en matière de gestion de projet, de planification,  d’analyse d’impact, de refonte stratégique et de mise en œuvre d’actions concrètes. Les formations en décarbonation et en gestion de projets sont de plus en plus proposées dans les établissements d’enseignement supérieur notamment les nouveaux acteurs comme KLIMA School qui offrent une vision holistique et systémique du problème à résoudre. Face à l’avenir climatique qui apparaît de plus en plus sombre et chaud, les consultants en stratégie climatique et décarbonation des chaînes de valeur, en énergie et en environnement ont un rôle clé à jouer pour aider les entreprises à s’aligner sur des trajectoires de réchauffement moins terribles qu’annoncées.

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